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#14 Nécessaires contradictions : Stéphane Lupasco et la logique de l'énergie (06-2018) 

 

Pas évident d'afficher de la sympathie pour la communauté hassidique. Faites le test pour voir autour de vous. On devrait vous répondre assez vite qu'ils ont beau vivre chez « nous » , ça ne les empêche pas de se sentir au dessus des lois et de nous mépriser ouvertement. Ou encore qu'il est épouvantable qu'au 21e siècle, il soit possible d'endoctriner des enfants avec des idées et des coutumes aussi rétrogrades, que cette secte est à l'origine de bien des drames qui auraient pu être évités n'eut été la complaisance des autorités à leur égard, et ainsi de suite... Je ne dis pas qu'ils auraient nécessairement tort de le penser mais pour ma part, j'aime l'idée qu'une communauté organise son existence autour du sens même de l'existence. Car c'est fondamentalement de cela qu'il s'agit. Bien sûr, étant un mystique du dimanche qui habite Rosemont, il est facile pour moi d'affirmer cela. On s'entend, comme n'importe quelle entreprise humaine, cette entreprise - dont les origines remontent au 18e siècle - est forcément imparfaite même si son but, je trouve, reste noble. Et c'est pourquoi je ne me formalise pas de leur indifférence à notre égard. Le sens de la vie est une quête plutôt prenante quand on s'y attaque avec toute l'intensité et le sérieux que le font les Hassidiques. Faut dire aussi que d'avoir lu sur l'histoire de ce mouvement - assez récent du judaïsme - m'a rendu encore plus sympathique à leur cause.

 

 

Pour quiconque s'intéresse aux différents concepts métaphysiques qui tentent de donner une signification à l'aventure humaine, j'ai trouvé très convaincante la façon dont le hassidisme justifie l'existence de Dieu, existence dont la potentialité ne peut être pleinement réalisée qu'à travers l'humanité, Dieu étant, toujours selon le hassidisme, autant créé par l'homme que l'homme par Dieu ( if my memory serves me well... ). En d'autres mots, les archétypes moraux présents en Dieu demeurent latents, inactifs, aussi longtemps qu'ils ne seront pas incarnés par l'action vertueuse des hommes et des femmes. D'où la grande piété des Hassidiques et leurs nombreux rituels qui visent à maximiser la présence du divin sur la Terre. C'est donc un win-win, car si Dieu dépend de l'humanité pour totalement s'actualiser, il la divinise en retour lorsque celle-ci agit en accord avec sa loi. Notez que malgré l'aspect rigide de ce mode de vie, aucune ascèse n'est nécessaire, au contraire. La joie, la danse et la jouissance des sens y sont encouragées afin de vivifier l'esprit et mieux servir Dieu. Bref, on est en présence, qu'on soit d'accord ou non avec son postulat, d'une mystique somme toute rationnelle. Mais ma plus grande surprise allait surgir lorsque j'ai constaté que la non-dualité, et ce que certains philosophes et mystiques appellent la coïncidence des opposés, se trouvaient également au cœur de la pensée hassidique... 

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Dans son ouvrage intitulé Qu'est-ce que la réalité? Réflexions autour de l'oeuvre de Stéphane Lupasco, Basarab Nicolescu - ancien chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique de Paris, spécialisé en physique quantique - affirme qu'il existe plusieurs niveaux de réalité. Rien pour appeler sa mère me direz-vous. Mais d'en prendre conscience permettrait de résoudre bien des problèmes - notamment grâce à la transdisciplinarité - et de comprendre en quoi la coïncidence des opposés - un concept présent dans toutes les traditions mystiques - réside au cœur de notre, ou plutôt de nos réalités, qu'elle soit physique, biologique, psychologique, artistique, religieuse, politique ou sociologique, name it... Mais qu'entend-on exactement par la coïncidence des opposés?

 

Oubliez le sens premier du mot coïncidence – qui réfère au hasard - et pensez plutôt à un point où une apparente contradiction s'en retrouverait résolue, unifiée. Selon la logique dite classique, A ne peut être simultanément A et non-A; en d'autres mots, une chose ET son contraire. Le bas ne saurait être à la fois le bas et le haut, pas plus que le jour, simultanément le jour et la nuit. On appelle ce principe, principe de non-contradiction. Sa première formulation fut énoncée par les Grecs de l'Antiquité. Mais un Roumain - Stéphane Lupasco, débarqué à Paris au début du 20e siècle - a commencé à questionner l'absoluité de cet axiome à la lueur des résultats déroutants que les pionniers de la physique quantique obtenaient. On ne savait pas pourquoi cela se produisait mais on était témoin de phénomènes bizarres qui défiaient clairement le principe de non-contradiction. Dans l'infiniment petit, A peut être A et non-A simultanément. Certains affirment que la contradiction n'est qu'apparente et que dans les faits, le principe d'identité et de non-contradiction restent inviolés; ce à quoi Barasab Nicolescu et bien d'autres qui furent aux premières loges de ces découvertes rétorquent que devant le scandale causé par un tel spectacle, on préfère recourir à des contorsions linguistiques plutôt que d'accepter que les choses ne se passent pas comme elles le devraient... Bref, cela ne se fit pas en un seul livre et prit plusieurs décennies, mais Lupasco tenta d'apporter une explication à ces phénomènes étranges, explications dont les implications déborderont largement le domaine de la physique quantique comme nous le verrons plus bas.

Pour Lupasco, n'importe quel phénomène énergétique est par définition le résultat de forces antagonistes. Et la manière dont le phénomène se manifeste; son actualisation, est également tributaire de sa potentialisation, qui demeure, à divers degré, toujours présente dans le phénomène. Il y a donc sous-jacent à n'importe quel processus énergétique un pont entre son actualisation et sa potentialisation, ainsi qu'entre la tendance qu'aura le phénomène (l'énergie) à devenir homogène; comme la matière inerte, ou hétérogène; comme le vivant, ou à mi-chemin entre les deux; comme les phénomènes quantiques et psychiques qui seraient de même nature lorsqu'on les regarde sous un angle purement logique! Ce pont, ou plutôt cet état - qu'il nomme état T - Lupasco le décrit comme étant le tiers inclus. Tiers parce qu'il devient la passerelle par laquelle les 2 pôles contenus dans toute contradiction sont reliés. Selon Nicolescu, les implications de cette logique n'ont pas encore été bien comprises, ni mêmes reconnues*, probablement parce qu'elles bousculent trop violemment notre conception, consciente et inconsciente, de la réalité. Et puisque l'énergie, donc la matière, est une manifestation de forces contradictoires – et pour Lupasco, la psyché est une matière, soumise elle aussi aux dynamismes d'actualisation et de potentialisation, donc un phénomène énergétique comme il tend à le démontrer à travers son livre Les 3 matières, et brièvement dans cette entrevue –, on comprendra pourquoi Nicolescu déplore encore qu'à ce jour le travail de Lupasco soit à ce point ignoré. Il y aurait beaucoup plus à dire là-dessus, et je devrai moi-même lire et relire sur le sujet afin de mieux le maitriser, mais le livre de Basarab Nicolescu est justement là pour ça. Moi qui se sens vite perdu quand vient le temps d'aborder des ouvrages de philosophie et/ou de physique, les réflexions de Nicolescu sur l'oeuvre de Lupasco sont étonnamment compréhensibles, du moins apprivoisables...  L'admiration évidente qu'il a pour son ami et compatriote d'origine roumaine - maintenant décédé - y joue sûrement pour quelque chose, tout comme la contribution que Nicolescu a lui-même apporté à la nouvelle logique de Lupasco lorsqu'il y a ajouté le principe des différents niveaux de réalité, avec la bénédiction de Lupasco lui-même. Ainsi disparaît un irritant important du système de Lupasco qui pouvait laisser penser que sa logique abolissait le principe d'identité, ce qui aurait été absurde bien entendu. Mais tout comme la Loi de la relativité d'Einstein n'invalide pas la théorie de Newton, Lupasco - avec son principe du tiers inclus – n'abolit pas non plus la logique classique pour autant. Celle-ci reste toujours aussi pertinente mais elle n'est pas pour autant absolue, comme le démontre entre autres la physique quantique. Avec l'ajout du postulat des niveaux de réalité, Nicolescu a donc raffiné la thèse de Lupasco en faisant ressortir que le tiers inclus n'est jamais manifeste dans la contradiction elle-même et ne peut pas se manifester sur le même plan de réalité que la contradiction qui le fait naître. Comme lui-même l'explique dans cet entretien :  

« Un exemple célèbre est la dualité onde-corpuscule qui est un des fondements de la physique quantique : cette dualité se vérifie au niveau quantique et pas au niveau macrophysique. »  

Et de continuer plus loin : 

« Ce que les scientifiques ont du mal à accepter, c’est le prolongement de ce constat étrange aux niveaux de la psychologie, de l’histoire, de la politique ou de la société. » 

En effet, la logique des contradictoires que Lupasco a construite et que Nicolescu a peaufinée aurait une portée beaucoup plus grande que la physique qui lui a servi de point de départ. Toujours selon Nicolescu : 

« Son idée centrale (celle de Lupasco) est que la contradiction est la texture de l’univers. Tout ce qui est dans le monde, et pas seulement ce qui est dans notre pensée ou nos propositions, résulte d’une tension entre des contradictoires. » 

 

 

Tout ça, comme je l'explique en entrée de jeu, à cause d'une discussion qui tournait autour de la communauté hassidique d'Outremont il y a 2 semaines... Selon Louria - un rabbin du 16e siècle dont la pensée et la renommée influença fortement la mystique juive - pour que Dieu puisse créer le monde, il fallut qu'il crée d'abord un vide, un espace où il n'était pas. On appelle tsimtsoum dans la kabbale cet acte où Dieu se retire en un seul point, créant ainsi tout autour les ténèbres et un infini dans lequel Sa lumière, et le Jugement - la raison - peut se propager, et la matière exister. Avant que la matière et le temps n'apparaissent, Dieu étant tout ce qu'il y avait, rien ne pouvait exister en dehors de lui. C'est en repensant à cette explication, ainsi qu'à la potentialisation et l'actualisation des archétypes moraux dérivant de Dieu - tel qu'évoqué en introduction - qu'un lien s'est fait dans mon esprit entre la logique de l'énergie de Lupasco et la façon dont la kabbale nous parle de l'origine du monde. Je ne sais pas si Lupasco lui-même serait d'accord mais l'exercice en aura valu la peine, ne serait-ce que pour la redécouverte du livre de Barasab Nicolescu Qu'est-ce que la réalité? Réflexion autour de l'oeuvre de Stéphane Lupasco

On entend parfois dire qu'au fond, les religions livrent toutes le même message. C'est un cliché qui, comme bien des clichés, contient sa part de fausseté... et de vérité. Mais cette part de vérité a ceci de paradoxal qu'on la trouve surtout parmi les courants mystiques, courants avec lesquels les autorités religieuses des différentes traditions entretiennent souvent une relation ambigüe, quand elle n'est pas carrément hostile.** Et que ce soit à travers le soufisme - une branche mystique de l'islam - ,  les mystiques chrétiens tels que Maitre Eckhart, Sainte Thérèse d'Avila ou Saint Jean de la Croix, Milarepa; moine bouddhiste ayant vécu au 12e siècle, sans oublier les saints de l'Inde, tous nous entretiennent sur l'illusion du dualisme qui comme un voile obscurcit notre vision du réel. Stéphane Lupasco - qui ne semble pourtant pas avoir eu de révélations mystiques - a su, avec les seuls outils de la raison et de la logique, lever ce voile pour nous aider à voir un peu plus clair sur la nature du monde qui nous entoure et sur nous-même. Je terminerai en lui laissant le dernier mot tiré d'une entrevue qu'il a donnée en 1987, peu de temps avant sa mort : 

" ... si l’on prend votre logique en compte, il faudra en déduire que les trois matières macrophysique, biologique, psychique ou microphysique, existaient de tout temps. Comment peut-on imaginer un psychisme avant l’apparition des êtres vivants? "

S. L. : " Eh bien, tout d’abord une logique est une logique. Elle se suffit à elle-même. Quand on crée une logique, elle peut être constatée après ou non, exactement comme en physique, par exemple, où des hypothèses sont émises pour être ensuite infirmées ou confirmées. Donc ma logique généralisée est une logique autosuffisante en tant que logique; par la suite, on peut vérifier si elle est valable ou non. "

 " Oui bien sûr. Mais on peut, à juste titre, poser cette question puisque votre logique postule la coexistence de ces trois matières, même avant l’apparition des êtres vivants. "

S. L. : " Oui, elle existait. Mais elle était inobservable. Les êtres vivants sont là avant ma logique que j’ai appliquée aux systèmes vivants; donc même s’il n’y avait pas d’êtres vivants, elle aurait continué à avoir une valeur en tant que logique. Donc au départ, le problème qu’il y ait des phénomènes qui viennent la justifier ou non ne se pose pas. C’est par la suite que l’on peut en faire le constat. "

" Vous différenciez donc votre logique d’un fait expérimental, et vous dites qu’une logique se suffit à elle-même si elle est cohérente, mais qu’après, elle peut être vérifiée par l’expérience ou non… "

S. L. : “ Exactement. Et il se trouve qu’elle est vérifiée. Mais ma démarche n’a pas consisté à créer d’abord une logique et puis à l’appliquer aux faits. Je suis parti de l’expérience, des faits, et j’ai constaté par induction ce que j’ai décrit sur les trois matières. Mais par la suite, je peux dire que je pouvais, en effet, créer et élaborer cette logique et puis la vérifier par les faits. ”

 

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* Sauf à l'intérieur d'un cercle restreint dont fit partie le philosophe et essayiste Marc Beigbeder (père de Frédérique Beigbeder) qui rédigea sa maitrise sur Lupasco dont le travail a d'abord été suivi avec intérêt par plusieurs artistes, dont André Breton, Eugène Ionesco et Salvador Dali.

**  Il faut toutefois différencier les religions monothéistes de celles originaires de l'Inde et des autres pays asiatiques où par définition le mysticisme, c'est-à-dire l'expérimentation directe du divin, est au cœur de la pratique spirituelle.

#28 Cachez ce mort que je ne saurais voir (02-2021) 

– « … ben oui mais ce sera pas grave Suzanne, quand tu seras morte, tu seras pu là pour voir de quoi t’as l’air..! Être exposé, ça donne à ceux qui restent la chance de te dire un dernier adieu, et ça aide à mieux faire notre deuil je trouve… » 

– «  J’m’en fous, j’ai pas envie qu’on me voit toute ratatinée… » 

J’avais beau essayer d’expliquer à ma belle-mère que selon ma perspective, ce n’était pas pour soi mais pour ceux qui restent qu'on organise des obsèques, que je préférais de loin la voir (de proche) une dernière fois en chair et en os plutôt qu’en photo devant une urne, rien n’y faisait, ça restait un dialogue de sourd. Il faut dire que le départ d’une amie de ma mère que je connaissais bien était encore récent et le vide causé par le fait que je n’avais pas pu la voir une dernière fois m’habitait encore. Je m’étais arrêté au salon funéraire avant de prendre la route pour de courtes vacances en pensant pouvoir lui rendre un dernier hommage mais j’étais reparti avec la vague impression de n’avoir pas pu le faire. Sans vraiment d’endroit pour se recueillir, planqué devant un montage photo et un vase qui contenait ses cendres, j’avais offert mes condoléances à sa fille, après quoi j’avais quitté la salle un peu penaud, triste parce qu’elle était morte et qu’on n'irait plus la voir l’été tous ensemble avec la famille élargie autour de sa piscine, mais aussi parce que j’avais le sentiment qu’elle méritait un peu plus de décorum, un peu plus de chaleur et de sacré. Évidemment, comme on ne recourt plus à l’Église pour assurer les rites funéraires, on est laissé à soi-même et ce n’est pas évident. Je ne sais pas ce que les sociologues et les anthropologues diront plus tard sur la façon relativement nouvelle que l’on a d’enterrer nos proches, mais d’offrir une dernière cérémonie devant une urne et une photo révèle forcément quelque chose sur notre époque et notre rapport à la mort… 

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Je me souviens d’une Pâques il y a une vingtaine d'année où le grand-père d’une ex me racontait comment anciennement on veillait les morts; à la maison, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Comment on les pleurait, avec de vrais pleureuses qui se forçaient à nous tirer les larmes. Et comment ça pouvait aussi déraper solide! Après quelques jours à partager la bouteille et à côtoyer le maccabée, on devenait un peu moins intimidé et l’envie de jouer des tours pouvait nous prendre. Le grand-père riait encore de la fois où l’épouse du défunt avait non seulement crié de ne plus voir le corps de son mari dans le cercueil, elle s’était évanouie lorsqu’elle l’avait aperçu suspendu par les bretelles derrière la porte..! L'expression "trop c'comme pas assez"  prend tout son sens quand on compare avec les rites d'aujourd'hui.

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Quelques jours avant son décès, bien que très affaibli, mon père avait insisté pour qu’on lui fasse de belles funérailles. On le lui avait promis même si on s’était jamais pratiqué avant... Son frère ainé avait suggéré qu'on fasse affaire avec le salon funéraire d’une de ses connaissances. On avait suivit ses conseils, ça nous avait évité de magasiner. Et ça doit pas être évident de magasiner des funérailles quand on y pense... Bien que construit près d’une autoroute, le complexe — c'était plus un complexe qu'un salon — était situé à l’orée d’un boisé. L’intérieur était vaste et élégant. La chapelle, avec son très haut plafond et sa grande fenestration, laissait entrer avec abondance la lumière naturelle. On s’y sentait bien, c’était manifestement un endroit qui favorisait le recueillement. Mais l'endroit à lui seul n'aurait pas suffit à faire de cette cérémonie le beau moment qu'il devint; l’intelligence et la sensibilité du célébrant avait aussi beaucoup aidé. Il venait, pour ainsi dire, avec le forfait (!), forfait suggéré par un des employés de la place, un homme dans la soixantaine qui avait très bien su nous accompagner. Celui qui allait officier les funérailles était issu du clergé catholique, peut-être un vicaire. Mon père y tenait, il avait demandé les derniers sacrements même s’il n’avait pas mis les pieds dans une église depuis des décennies. Le célébrant était un homme vigoureux, qui se tenait bien droit et dont la voix était à la fois chaleureuse et autoritaire. Ma mère et moi avions échangé quelques mots la veille au téléphone avec lui mais c’était comme si nous avions discuté pendant des heures. Un vrai pro, il donnait l’impression d’avoir connu mon père. Pour s’adresser à tous ceux qui étaient venus rendre un dernier hommage, il avait choisi des passages de l’Ancien et Nouveau Testament qui mettaient en relief le sens de la vie et celui de la mort (l'amour crisse..!), tout en sachant être réconfortant. Ses oraisons duraient juste le temps qu’il fallait. Il nous guidait avec assurance pour la prière et invitait quand leur tour était venu ceux et celles qui devaient venir prendre la parole. Je chantai avec ma soeur une chanson à propos d’un petit chalet sur une île où nous avions l’habitude d’aller en famille, et mon père à la chasse avec ses amis l’automne venu. Un invité de dernière minute de son frère cadet entonna l’Ava Maria. C’était un ténor italien dont l’interprétation magnifique et bouleversante résonna partout dans la chapelle et secoua toute l’assistance. 

Tout cela se passa pendant que mon père était exposé dans son cercueil, ce qui ajoutait forcément à la cérémonie un aspect sacré, solennel; ce n’est pas tous les jours qu’on a sous les yeux le corps mort d’une personne qu’on a aimée. C’était au mois de mai et les tulipes que mon père avait plantées dans la cour qu’il avait transformé au fil du temps en un grand jardin étaient sorties de terre. Les petits-enfants et tous ceux qui le désiraient avaient déposé dans son cercueil les tulipes que nous avions cueillies avant de quitter la maison. Cela aussi avait été très touchant. J’avais pour ma part beaucoup apprécié le moment passé seul en sa présence, alors que j’étais revenu en catimini dans la chapelle pendant que continuait dans une salle adjacente une réception pour les invités. De pouvoir déposer un dernier baiser sur son front avait bouclé la boucle amorcée quelques mois auparavant alors que le diagnostic d’un cancer foudroyant m’avait laissé incrédule. 

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Mon père n’a pas qu’eu de belle funérailles, il a aussi eu une belle mort. Du moins j’aime le penser, j’espère que je ne me trompe pas. J’ignore à quel point cela est plus important pour nous que pour celui qui s’en va mais j’imagine qu’il est plus… facile..? de s’éteindre chez soi qu’à l’hôpital. Ma mère avait appelé un organisme bénévole qui aide les gens à mourir à la maison et ils étaient venus installer un lit dans le salon. Une infirmière passait tous les jours. Nous avions pu célébrer Pâques tous ensemble et ma conjointe lui avait chanté l’Ave Maria en lui tenant la main. Ce fut beau et intense. Cela faisait 2 jours que mon père n’ouvrait plus les yeux lorsque son âme l’a quitté. C’était en fin de journée et le ciel était noir et pluvieux. Quelqu’un est allé chercher du homard et nous avons bu du vin. Ma fille qui n’avait pas un an s’est mise à marcher pour la première fois. La vie continuait. 

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On tend à l’oublier, l’être humain est un animal éminemment symbolique. Il y a certes des cérémonies à ré-inventer mais au-delà de l’opinion qu’on peut avoir sur l’au-delà, notre époque a peut-être sous-estimé les rituels, leur pertinence, leur nécessité, le rôle qu’ils ont à jouer dans les étapes de la vie. Je dirais qu’en plus de celui de mon père, j’ai eu à vivre 2 autres deuils importants. Et les 3 fois, tout mon être fut secoué par d’immenses vagues de chagrin, comme si mon corps expiait une douleur qui provenait de tréfonds inconnus et dont mon physique prenait simultanément acte, une douleur qui s’était accumulée au fur et à mesure que l’inéluctable se dessinait. Mais une fois les secousses terminées, il y a une paix qui s’installe et qui aide à accepter l’épreuve à laquelle on fait face. Plus j’y pense et plus je crois que les rituels sont là pour favoriser ce genre de moment, souligner la sacralité de ce qui se passe et qui est immanent à l’existence, et ce, peu importe ce qu'on l'on pense de la transcendance.

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Mais il paraitrait que la tendance se renverse. Selon un invité entendu cet automne à l’émission « Y’a du monde à messe », l’exposition du défunt serait à nouveau prisée parmi les amateurs de funérailles. Je blague mais j’étais surpris et à la fois heureux de l’entendre. Heureux est un peu fort mais disons que j’y voyais là une prise de conscience sur la nécessité de ramener un peu de sacré dans nos vies. Nous sommes passés en un temps record de société hyper religieuse à une société non pratiquante et on peut dire que ça parait beaucoup quand vient le temps d’enterrer nos morts. 

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Je peux juste parler pour moi mais je ne crois pas être le seul qui trouve important de pouvoir voir une dernière fois le corps sans vie d'une personne qu’on a aimée quand vient le temps de lui dire adieux. Au-delà de ce que je serais capable d’en dire, cela participe à quelque chose d’insaisissable, qui nous amène ailleurs, nous ramène forcément à notre propre mort et nous oblige à nous arrêter.

Tout ça pour te rappeler Suzanne que j’aime mieux te voir ratatinée que pas pantoute. Bon.

#29 Confession d'un goy : Je t'aime toi non plus 

 

Il y a des scènes comme ça qui vous habite. S’est imprimée dans mon esprit il y a plusieurs années l’image d’un énorme grand-père endimanché, affublé d’un chapeau géant à la fois ridicule et magnifique, entouré d'une multitude de petits-enfants qui se couraient après en tournoyant autour de lui sur un trottoir de la rue Bernard pendant que j’attendais dans ma voiture à un feu rouge. Faut dire que j’ai toujours éprouvé de la sympathie pour les Hassidiques. Leur habillement sorti tout droit de la Pologne du 19e siècle et leurs boudins proéminents est un pied-de-nez sympathique à je sais pas quoi, mais ça le fait en ce qui me concerne. Y’a aussi que les questions métaphysiques m’intéressent et la position du hassidisme sur le sujet est vraiment originale. Et cohérente. Leur concept de Tzim Tzum pour expliquer la création du monde est un espèce de Big Bang avant l’heure. Et leur conception du monde et du rôle qu’ils ont à remplir dans ce monde explique aussi pourquoi le fait de se rassembler leur est si primordial et est au centre de leur mode de vie comme on a pu le constater une fois de plus dernièrement. On en conviendra, c'était pas nécessairement joli. Mais les autorités ont aussi pas pire cafouillé, on va se l'dire. C'est que le chant, la danse, la musique, la prière, et la joie qui en résulte lorsqu'on s'y adonne en groupe aide les Hassidiques à devenir plus pieux. C’est ce que veut dire leurs nom d’ailleurs, les Pieux.

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Je ne m’offusque pas non plus de leur indifférence à mon égard; c'est qu'ils ont d’autres chats à fouetter. Pour les Hassidiques, Dieu et l’humanité sont co-créateurs car c’est à travers les actions vertueuses des hommes que Dieu quitte le domaine pur de l’abstraction et parvient à devenir actif en ce monde. Ce qui en retour, divinise l’humanité dont les actions vertueuses actualisent les émanations divines, les sephiroth en hébreu. Autrement dit, Dieu créa les humains et grâce aux humains, Dieu n’est plus une abstraction. Et ce faisant, les hommes vertueux se rapprochent de Dieu. C’est un win-win. Je comprends qu’on puisse être sceptique devant l’existence du divin mais la question n’est pas là; la proposition est logique, une logique qui n’est pas sans rappeler la logique de l’énergie de Lupasco qui repose sur une dynamique de potentialisation et d’actualisation. Je dis pas ça pour faire mon smatt, c’est comme ça, pour une raison que j'ignore, Lupasco est arrivé un jour sur mon radar. Même si je comprends toujours pas tout ce qu’il explique, j’ai comme l’impression depuis le début qu’il a vraiment craqué le code...

 

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Je sais, pas besoin de le dire, c’est comme une secte, dans laquelle certains sont malheureux, et dont on peut difficilement sortir, au prix d'une exclusion sociale très brutale. On dira aussi que les enfants sont brainwashés et que les femmes ont pas de vie. Mais on projette plein d’affaires quand on s’exprime ainsi. Et qu’en est-il de nos propres fêlures? De l’isolement de nos personnes âgées, de la maltraitance de nos enfants, de nos obsessions virtuelles? Sommes-nous vraiment dans une position pour juger? Notre modernité est capable à elle toute seule de générer beaucoup de souffrances. Et face à cette souffrance inhérente à l'existence, les Hassiques ont adopté, ou plutôt préservé, une stratégie différente de la notre. Mais bon, encore une fois, je dis ça, je dis rien.

 

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On pourrait dire que Richard Dawkins, un biologiste et théoricien de l'évolution réputé, a insisté beaucoup pour ne pas trouver de vertu à la religion. Il faut que dire c'est un champion – dans le vieux sens du terme – de la Raison. Et pour qu'enfin elle prévale une fois pour toute, il croit avoir réussi à démontrer que la religion – étant donné qu'elle ne peut pas être un trait évolutif avantageux –, a réussi à se propager en contaminant les esprits. C’est ce qu'il a appelé un meme. Un meme a la capacité de se propager comme le ferait un gène, un virus ou un parasite. Des fois, ça donne de bonnes idées comme la culture. D'autres fois un peu moins comme pour la religion. Tadam. Voilà. La démonstration est faite (en écoutant le vidéo en dessous, je m'aperçois que je caricaturise un peu trop mais les implications (non-)téléologiques restent les mêmes au bout du compte. Comme si la raison, dans sa course vers le progrès, devait devenir omnisciente, que l'accroissement de son domaine était proportionnel à l'éradication de l’irrationnel. C'est qu'on confond la déraison et l'irrationnel. L’irrationnel ici n’a rien à voir avec qui est ou non factuel ou avec la liberté qu'on se donne de croire ce qu’on veut juste parce que ça fait notre affaire. Je parle plutôt de ce que la raison n’arrivera jamais à saisir, comme la créativité ou l'intuition par exemple. La raison et la créativité sont des modes psychiques non seulement différents, ils s'auto-excluent; ils ne peuvent co-exister sur le même plan. Ou dit autrement, la couleur est à l’aveugle ce que l’irrationnel est à la raison; une qualité, une dimension à laquelle elle n’a pas accès. Paradoxalement, sans la créativité, c'est l'évolution même qui ne pourrait pas avoir eu lieu. Pas pour rien que la créativité est un sephirot, une émanation divine pour les Juifs. Même chose pour la raison d'ailleurs.

 

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L’Occident est présentement un vaste laboratoire social. L’avènement d’une société séculière aussi peu pratiquante et de plus en plus athée est assurément une première dans l’histoire de l’humanité. Si je prends pour exemple mes enfants, ils n'ont assisté à aucune réelle célébration religieuse de leur vie et ce qu'elles savent de la religion est purement anecdotique. Aucune idée s'il y a un lien – comme bien des phénomènes, c'est multi-factoriel, et l'avènement des réseau sociaux jouent clairement un rôle – mais mes enfants appartiendraient à la génération la plus anxieuse qui ait jamais existé. Le phénomène aurait même explosé depuis le début des années 2010. Et si croire était un besoin physiologique? Une nécessité, inscrite à même notre psyché, et dont la suppression entrainerait des conséquences que nous ne sommes pas en mesure de réaliser étant donné le caractère inédit de ce phénomène sociologique. Comme Jung l'explique, pour l'Homme, Dieu est avant tout une image. Une image dont on a besoin pour se construire ; c'est un archétype, issu de l'inconscient collectif. Mais non seulement Dieu serait mort, le Soi où il trouvait sa place dans notre psyché a créé un vide que notre égo propre est allé remplir grâce à l'expansion vertigineuse du monde virtuel. Il est à se demander si le Narcisse des mythes grecs – qui dépérit à force de se contempler – n'en aurait pas profité pour remplacer Dieu... Jung parle aussi de la manière dont l'époque peut transformer la figure de l'archétype. Pas pour rien que Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft forment une nouvelle principauté; ils sont le territoire dans lequel notre toute nouvelle virtualité évolue. Ça n'a pas que du mauvais, on s'entend. Je ne fantasme aucunement sur le 19e siècle et sa rigidité morale et religieuse et je chéris ma condition, j'en suis reconnaissant. Sauf que pour pouvoir accéder au confort inégalé de notre réalité matérielle, il a fallu quitter le monde du surnaturel et de la superstition, sans toutefois comprendre que le récit raconté par la religion était avant tout symbolique, et que les rituels associés à leur célébration se veulent une façon d'intégrer ses symboles, symboles dont la compréhension se situe justement au-delà de la raison, et dont l'existence, enfouie dans notre inconscient collectif serait intriquée à même notre psyché, grâce aux archétypes. Jung est très convaincant lorsqu'il parle du caractère incréé de nos aspirations religieuses, c’est-à-dire des a priori psychologiques auxquels nous nous référons tous de manière symbolique, processus qui aurait difficilement pu être un fruit de notre imagination. Ce serait plutôt l'inverse; c’est l'existence des archétypes qui oriente notre manière de voir, d’appréhender le monde, de se concevoir et d'en extraire du sens. Ce qui implique forcément notre subjectivité. Les archétypes sont à la psyché ce que l’instinct est au vivant; un kit de départ, distribué à tous. Dans les 2 cas, ils tracent le chemin que prend l’évolution.

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Tout ça pour dire que si on a évacué le religieux et en même temps gagné en confort, on semble avoir aussi accru notre désarroi. Je veux pas faire mon péteux mais quand Nietzsche a affirmé que « Dieu est mort », ce n’était pas pour se réjouir mais pour s’en inquiéter. Car Dieu, de tout temps, guide les hommes et les femmes. C'est un archétype autour duquel le Soi se construit. C’est tout nouveau que les humains n’aient pas besoin de se serrer les coudes pour survivre, ni d'adhérer à une foi commune. Se pourrait-il que le prix à payer pour y arriver soit l’accroissement de l’isolement, de l’anxiété et de la division?

Ça a pas l'air d'être le cas des Hassidiques par exemple.

#23 Féminisme, Christianisme et Évolution  

J’avoue avoir de la difficulté à me positionner sur le féminisme. Il faut dire que je n’ai pas de misère à trouver dans mon entourage des femmes qui réussissent bien et qui hésiteraient je crois à blâmer leur féminitude pour les obstacles qu’elles ont rencontrés. Il faut aussi reconnaitre que beaucoup de chemin a été parcouru au cours des dernières décennies et que la condition féminine s’est grandement améliorée, comme en témoigne entre autres depuis peu le fait que la majorité des diplômés issus des cycles d’études secondaire, collégial et universitaire sont des femmes. C’est un important rattrapage qui continue son cours et qui finira inévitablement par inverser beaucoup de tendances. Ceci étant dit, mes hésitations sur mon positionnement ont beaucoup plus à voir avec le fait que je sois… un homme..! Bête de même. Disons que je ne peux pas parler en toute connaissance de cause. Et de ce que je suis capable d'en déduire - personnellement, empiriquement, ici au Québec -  la situation autour de moi me semble plus qu'acceptable; les égarements et le manque de jugement de mes semblables dont on fait état dans les médias ces jours-ci ne semblent pas être un modus operandi que mes amis utilisent. Mais je dois avouer qu’une expérience vécue l’été dernier m’a amené à repenser ma position, ou plutôt mon absence de position sur la question. Peut-être pas sur le féminisme comme tel, mais plutôt sur ce qu’implique d’être une femme, sur les réflexes, les habitudes inconscientes et bien ancrées qui régissent les rapports entre les 2 sexes. J’ai moi-même réalisé la chose seulement plusieurs jours après les événements. Sur le coup, je n’avais rien à redire surtout que ça s’était très bien passé. Je n’avais pas du tout remarqué à quel point j’avais participé d’une manière bien involontaire à l’élaboration d’une scène mille fois répétées… 

Bien que je sois co-fondateur de la chorale Choeur de Loups, celle-ci doit incontestablement son âme et son essor à Marie-Josée Forest. Sans elle, cette emballante aventure n’aurait jamais vu le jour. Ce qui était à la base une idée toute simple - chanter en groupe, sans audition et sans partition, divers hits des années 60-70 et 80 -, cette idée rencontre un franc succès et suscite encore à ce jour une joie palpable chez tous nos participants. La qualité des harmonies et des arrangements à 3 voix que nous finissons immanquablement par maitriser à la fin de chaque séance ne cesse de m’étonner. Bref, le mot s’est passé et est parvenu au mois d’août dernier jusqu’aux oreilles de l’équipe de l’émission radiophonique du matin de Stéphan Bureau qui préparait un segment sur les bienfaits de chanter en groupe. On nous a invité Marie-Josée, moi et une choriste à se joindre à un spécialiste sur la question afin de témoigner et d’échanger sur le sujet.

Une autre émission nous ferait la même demande quelques jours après. Et dans les 2 cas, le même phénomène s’est produit : les animateurs prirent pour acquis que j’étais le directeur de la chorale..! Cela était d’autant plus surprenant que rien sur le site, ni dans les questions des recherchistes, pouvaient laisser penser que c’était le cas. Il est même bel et bien stipulé que c’est Marie-Josée la cheffe de choeur. J’aurais dû sur le coup reprendre les animateurs mais pour une raison qui m’échappe, je ne l’ai pas fait, préférant passer par-dessus la méprise et répondre sans détour aux questions, questions qui m’étaient d’ailleurs dirigées plus souvent qu’à mon tour. Marie-Josée a fini par rectifier, avec humour et en douceur, mais ce n’est que 2-3 jours après que j’ai réalisé qu’un sexisme subtil et inconscient avait probablement influencé le comportement de tous et chacun… et que si dans un contexte détendu - un studio de radio où il est simplement question d’échanger sur les bienfaits de la musique - qu’en est-il lorsqu’on évolue dans un milieu de travail où la compétition entre collègues entre souvent en jeu..? Je me posais une question qui ne m’était jamais vraiment venue à l’esprit, je dois l’avouer. 

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Il peut être hasardeux de mêler évolution, histoire et sociologie. Et comme séparer la culture de la biologie devient une tâche impossible quant on se penche sur l’évolution au sens large de l’Homo Sapiens, il est difficile de prouver hors de tout doute que tel ou tel trait culturel est effectivement un processus évolutif que l’espèce a adopté afin de favoriser sa survie. N’étant pas un spécialiste de la question, je ne me prononcerai pas sur la chose si ce n’est pour dire qu’il serait dans notre intérêt de comprendre qu’il y a en jeu des processus évolutifs qui nous dépassent, et qu’au delà des nombreux drames individuels qu’impliquent les rapports hommes-femmes et la vie en société en général ( violence conjugale, suicide, etc. ), ceux-ci sont fortement influencé par des mécanismes qui ont leur logique propre. Il ne s'agit pas d'excuser qui que ce soit mais de mieux cerner d'où viennent nos patterns, de prendre en compte qu'ils ont souvent une origine très lointaine. Bien entendu, l'Homo Sapiens a la capacité de modifier plus que toute autre espèce son destin mais celui-ci demeure toutefois fortement influencé par des lois naturelles, évolutives, qui sont beaucoup plus présentes et puissantes qu'on ne l'imagine. D’en prendre plus conscience éviterait de polariser les positions et de braquer davantage ceux qui en débattent. Il est également intéressant de noter que d’un point de vue strictement évolutionaire, les femmes ne sont pas que perdantes quand on considère que les stratégies mises en place par la Nature les favorise systématiquement en ce qui concerne l’espérance de vie.

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On l’oublie souvent mais nous vivons dans un confort que nos ancêtres n’auraient même pas pu imaginer quand on pense aux conditions qu’ils devaient affronter il y a pas si longtemps. Et jusqu’à récemment, que l’on soit homme ou femme ne changeait pas grand chose à l’issue, il y avait de fortes chances que vous mourriez avant 40 ans ; votre vie miséreuse vous aurait usé beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. C’était aussi un monde où la violence était omniprésente si on compare avec aujourd’hui. Autant au quotidien; les moeurs, la justice et le droit se sont beaucoup raffinés depuis, qu’en temps de guerre; beaucoup plus fréquent, il va s’en dire. On ne s’étonnera pas qu’avec ces conditions, le christianisme ait à ce point foisonné. L’idée d’un dieu qui s’incarne afin de prendre sur lui les péchés du monde, souffrir dans sa chair pour sauver l’humanité, ce récit devait avoir une résonance dont plusieurs dimensions doivent forcément nous échapper aujourd’hui. Mais bien que les éprouvantes conditions de vie des siècles précédents soient choses du passé pour nombre d’entre nous, il semble qu’une importante souffrance psychologique ait pris le relais. Je ne pense pas pour autant que l’on doit s’attendre à une résurgence du christianisme, mais l’étonnante conclusion - mystique à souhait - du dernier Houellebecq peut laisser penser qu’il y a peut-être encore un peu d'espoir en Occident pour cette religion. Il est facile d’imaginer que d’autres puissent imiter le personnage central de Sérétonine qui, en proie à une lente agonie psychique, s’en remet au Christ. Ce ne serait pas la première fois que l’intuition de Houellebecq s’avère juste. Et que dire de la conversion de Kanye West et des millions de fans qui adhèrent à son message et son gosp/hop inspiré..! Il y aurait évidemment plein de choses à dire sur le rôle des femmes dans l’Évangile - on peut quand même facilement trouver des passages où Jésus apparait comme féministe avant l’heure, c'est à des femmes qu'il décide d'apparaitre en premier après sa résurrection - contrastant en cela avec la manière dont l’Église les a injustement traité. 

Je m’égare un peu mais il m’arrive de penser que le christianisme, tel un fruit, a en mourant su semer les graines de son idéal, que son message de base, "Aimez-vous les uns les autres", a fini par laisser une marque durable, même si cette religion a aussi motivé bien des actions contraire à ce qu'elle prêchait. Certains ajouteront que contrairement au Judaïsme et à l'Islam, le monothéisme chrétien a favorisé sur le long terme la séparation de l'Église d'avec l'état. Des phrases comme "Mon royaume n'est pas de ce monde" ou "Rendez à César ce qui appartient à César" sont en porte-à-faux avec la tradition juive et le Coran qui dictent dans le détail la conduite de ses fidèles dans la vie quotidienne. Le christianisme à cet égard est pas mal plus slack. Et Jésus s'est d'ailleurs attiré les foudres du clergé de l'époque entre autres parce qu'il n'observait pas le sabbat. Il référait souvent à l'esprit de la Loi et affirmait que les rites étaient en soi vides si on les accomplissait seulement pour les accomplir... Il y aurait beaucoup à dire sur la religion du point de vue de l'évolution. Et contrairement à ce que Richard Dawkins avance, la religion serait bien plus qu'un "mind virus", elle a toute les caractéristiques d'un trait évolutif qui favoriserait la survie de l'espèce. Le contraire irait à l'encontre même de la logique évolutive quand on y pense! Pour ceux que ça intéresse, le vidéo qui termine le texte - où il est question d'un débat entre Dawkins et Bret Weinstein - parle de ce sujet ( à partir de 3:30). Bref, corrolation is not causation mais il est difficile de ne pas faire de liens entre l'Occident, le Christianisme et les Droits de l'Homme. Et c’est justement parce que ces principes d’égalité sont maintenant inscrits au coeur des sociétés occidentales qu'il m'est d'avis que le futur, pour le mieux-être de tous, s’écrira de plus en plus au féminin.